Après plus de cinquante jours d’une incubation sous haute surveillance, les tortillons caouannes de la plage du casino à Valras sont enfin nés et ont rejoint la mer. Une libération miraculeuse en forme de SOS tout de même.
Discrètement, les tortillons sont sortis du sable. En cette fin de journée du 7 septembre, le ciel gris et la mer encore gonflée des orages de la veille n’invitaient guère à la baignade. Un instant magique pour Jean-Michel du Centre d’étude et de sauvegarde des tortues marines de Méditerranée (CESTMed), le premier à avoir vu la quarantaine de bébés tortues sortir de leur nid et gagner la mer, « à la queue leu leu et en pleine forme », bien décidés à (sur)vivre. Immédiatement, c’est branle-bas de combat parmi les bénévoles présents sur le site. Quant aux nouveaux nés, ils jettent leurs 25 grammes à l’eau et prennent le large, sans s’inquiéter de l’agitation qu’ils provoquent autour d’eux.
Le dispositif de protection du nid mis en place sur la plage Les tortillons sous surveillance
Le miracle a commencé le 17 juillet dernier en début de nuit. Une tortue caouanne – Caretta caretta pour les intimes – choisit Valras-Plage pour y pondre ses œufs. Pourquoi ici ? Ni les lumières du casino, ni les enrochements mis en place contre l’érosion ne l’ont dissuadée de choisir cet endroit. Il est admis que les femelles adultes viennent pondre leurs œufs sur la plage où elles sont elles-mêmes nées, ou sur un rivage voisin. Théo du CESTMed, précise toutefois : « Il est possible que la surchauffe des eaux de la Méditerranée cet été ait pu perturber la tortue dans son « choix » du lieu de ponte. Mais ce n’est qu’une hypothèse.» Cette nuit là, depuis le boulevard, Alain a pu remarquer l’intrépide tortue grimper sur la plage. « Elle a fait quelques mètres tout droit pour ensuite tourner sur sa droite. Là, elle s’est posée et elle a commencé à creuser un vrai tube ! 45 minutes après, elle pondait. Avec mes enfants, on a vécu un truc extraordinaire ! ».
Durant toute la période d’incubation, le site a été surveillé jour et nuit par les bénévoles de trois associations, Sea Shephered France, le CESTMed et les Orpellières. « Il y a plus d’une centaine de bénévoles mobilisés. Deux à huit personnes se relaient en permanence sur le site. C’est un gros effort pour nous mais il en vaut la peine. La présence de ce nid nous rappelle que la Méditerranée est bien vivante » souligne Kevin de Sea Shephered. La municipalité de Valras s’est également investie dans le dispositif de sécurité et de suivi mis en place autour du site. « Certes, on a été surpris mais ensuite, il n’y a pas eu de réticence pour intervenir et notamment pour fermer une partie de la plage alors que nous étions en pleine saison. » affirme le maire, Daniel Ballester. Parmi les bénévoles, une élue valrasienne avoue avec émotion : « C’est un vrai cadeau qu’elle nous a fait cette tortue de venir pondre ici.»
Seules trois pontes de tortues caouanne ont pu être observées sur nos côtes, à Villeneuve-les-Maguelone (Hérault), Fréjus et Saint-Aygulf (Var). Pour Théo, ces dernières années, le phénomène n’est pas si rare. « Ce qui est exceptionnel, sur une plage très fréquentée comme ici, c’est d’avoir pu repérer la tortue au moment de la ponte et d’avoir pu rapidement protéger son nid. » Caretta caretta est encore bien présente en Méditerranée mais l’espèce est aujourd’hui très menacée, à la fois par la pêche industrielle, le braconnage et la pollution plastique. « 90 % des tortues adultes que nous récupérons en centre de soins ont du plastique en elles et cela peut représenter jusqu’à 14 grammes par individu. »




Cet événement réveille nos consciences (Kevin de Sea Shephered)
Samedi 10 septembre, l’excavation du nid a permis aux scientifiques de comptabiliser le nombre de naissances : quatre vingt quinze tortillons sont sortis de leur coquille et deux sont morts nés. Par ailleurs, seize œufs n’étaient pas fécondés. Tout a été mis en œuvre pour que l’émergence des tortillons se déroule le plus « naturellement » possible. Laisser la Nature faire les choses. Difficile d’y croire quand, dans cette nature chamboulée, la survie tient du miracle. Seul un tortillon sur mille arrive à l’âge adulte. Mais cette cruelle réalité n’empêche pas l’émerveillement ni la mobilisation. Kevin se veut positif. « Cet événement réveille nos consciences et nous rappelle nos responsabilités vis à vis de la Méditerranée et du monde marin en général. » Et pour le maire, Daniel Ballester, « il est surtout porteur d’espoir. » Un peu pathétique quand même : comment s’émerveiller d’un tel événement quand tout est fait pour qu’il ne se (re)produise pas ? Soit, arrêtons-nous juste au rêve porté par ces bénévoles et par tous ces gens venus chaque jour, par centaine, derrière les barrières. Ils ont entendu le message de cette tortue devenue star sous les lumières du casino : aimez moi et ne m’oubliez pas !
La vidéo des tortillons à voir ici : https://www.facebook.com/watch/?v=1138912576697785